Cosette & Jérôme, LE DÉSIR DE VOIR
Eloi d’Hauthuille
Votre démarche artistique étonne, par son refus de la mise en scène, son attention au vivant, sa fidélité à l’expression du corps, à la lumière et à la magie du hasard. Comment tout cela a-t-il commencé ?
Cosette
Il y a d’abord eu notre rencontre sur l’île de la Réunion. Un théâtre, la lumière des rampes, et ce sentiment que tout pouvait advenir sur une scène. J’étais mime et comédienne de théâtre. J’avais comme instrument mon corps. Jérôme, lui, observait tout avec son appareil photo. Nous étions jeunes, nous nous sommes plu, mais nous ne savions pas du tout ce que serait ce dialogue entre nous.


Jérôme
J’ai commencé à photographier pour voir, pas pour illustrer une idée préconçue. Dès les premiers instants, Cosette a été cette présence qui ouvrait la scène, rendant une image possible. Je la photographiais pour la voir. C’est comme ça que nous nous sommes rencontrés.

Eloi d’Hauthuille
Aujourd’hui, dans toutes vos images, vous travaillez en duo et le réel occupe une place centrale. Comment se déroule une séance avec un modèle dans cette alchimie ?
Cosette
Rien ne s’improvise, mais rien ne se programme. Le respect, la confiance, la douceur : sans cela, rien ne peut naître. Chacun vient avec ce qu’il est. Je peux accompagner le modèle parce que j’ai été modèle moi-même. Je l’aide à respirer et à bouger librement. La nudité, telle que nous voulons la voir, n’est pas simplement le fait d’être dévêtu , c’est aussi et surtout le fait d’abandonner son personnage social.
Jérôme
Je photographie pour voir. C’est l’appareil qui décrit, pas moi. Je dirige parfois un peu, mais je ne manipule pas.
Rendre compte, donner à voir, laisser advenir le réel, c’est vraiment ce que la photographie sait faire de mieux.

Eloi d’Hauthille
Votre rapport à la nature semble fondamental. Pourquoi choisir de photographier le nu dans la nature plutôt qu’en studio ?
Jérôme
Nous ne sommes pas extérieurs à la nature, nous sommes la nature. Depuis 1986, nous avons régulièrement fait ensemble des nus dans la nature. En rassemblant nos images les plus personnelles, nous avons décidé d’élargir notre travail à tout un chacun.
Cosette
Nous avions envie de voir ce qui reste quand on enlève tous les artifices de nos civilisations, mais pour autant nous n’expliquons rien, nous ne racontons pas d’histoire, nous nous contentons de donner à voir des images sans légende ni titre.

Eloi d’Hauthuille
Vous citez souvent la magie du hasard, l’importance du rituel. Que voulez-vous dire par là ?
Cosette
Le rituel concentre l’énergie.
Avant chaque prise de vue, il faut ce temps d’écoute, ce temps d’accueil.
L’image photographique échappe à l’explication. Nous n’avons rien à prouver, rien à démontrer. Une image forte peut arriver par hasard et nous serions incapables de la refaire. C’est ça la magie !
Jérôme
Oui, nos images arrivent par hasard. En tout cas, nous faisons tout pour cela !
Le hasard est indépendant de notre volonté. Il faut comprendre qu’une photographie est la mémoire de ce qu’un appareil a enregistré.

Eloi d’Hauthuille
Vous parlez souvent de la lumière, presque comme d’un personnage à part entière…
Jérôme
Oui, la lumière est un révélateur.
Éclairer est un acte tactile autant que visuel, mais le révélateur c’est la lumière et non l’éclairagiste.
En réalité, la lumière vient de l’ombre et elle a sa vie propre.

Eloi d’Hauthuille
Votre rapport à l’art et à la sculpture est très fort. Pourquoi photographier l’art ?
Cosette
Les musées sont pour nous des lieux de méditation, d’humilité.
Face à Jules Desbois, Camille Claudel, Aristide Maillol, Antoine Bourdelle, Auguste Rodin, et tant d’autres, ou face aux œuvres des Grecques, des Romains ou des Égyptiens, on voit simultanément la puissance d’évocation et le mystère d’un geste humain. C’est une vraie source de découverte, d’émerveillement et d’inspiration que de photographier ensemble ces œuvres.

Eloi d’Hauthuille
La danse apparaît depuis peu dans votre travail. Comment cela s’inscrit-il dans votre démarche ?
Jérôme
Il y a cette phrase d’Auguste Rodin : « Dans l’esquisse, les mouvements du modèle sont rendus plus vivants par la seule indication de l’allure générale. » Je voudrais photographier la danse ainsi. Nous pensons l’aborder au départ avec le même rituel que pour nos nus dans la nature : dans la confiance, l’écoute, la disponibilité, certes, mais nous allons photographier vraiment les mouvements du corps dans la danse, les photographier intensément et les suivre de très près, toujours pour voir !
Cosette
En réalité, nous ne savons vraiment pas ce que nous allons trouver dans la danse ! Oui, nous voulons voir ce que l’œil ne peut percevoir autrement, mais nous ne savons pas ce qu’il va apparaître sur les images. Nous ne le saurons qu’en travaillant !
Eloi d’Hauthuille
Jérôme, tu as été formé à l’École Nationale Supérieure de la Photographie d’Arles. Quel a été l’apport de cette formation ?
Jérôme
Arles m’a ouvert à l’histoire de la photographie. J’ai compris pendant mon apprentissage que la force de la photographie, c’est son statut de document. Pour moi elle est juste quand elle reste attachée à décrire le réel tel qu’il est. La pratiquer est une façon de vivre. Le génial Eugène Atget, pionnier de la photographie au tournant du XIXᵉ siècle, écrivait sur sa porte « Document pour artiste ». La photographie est une source.
Il y a beaucoup de photographes très intéressants dans l’histoire, je me sens l’héritier du style documentaire Américain : Garry Winogrand et Lee Friedlander surtout. Il s’agit encore de photographier les choses comme elles sont, plutôt que comme je voudrais qu’elles soient.

Eloi d’Hauthuille
Votre vie nomade, sur les routes d’Europe, fait-elle partie intégrante de votre art ?
Cosette
Oui, parce que le voyage maintient la surprise, l’émerveillement, la disponibilité.
Chaque lieu, chaque rencontre, chaque lumière devient une promesse.
Nous sommes toujours en état de veille, jamais installés, jamais fatigués de regarder.
Jérôme
Pour faire des photographies dans la rivière, il faut aller jusqu’à la rivière.
Eloi d’Hauthuille
Votre projet aujourd’hui prend la forme d’une trilogie : nus dans la nature, sculptures du corps et danse. Pourquoi les rassembler ?
Jérôme & Cosette
Le nu, comme la danse, n’est pas à proprement parler un sujet mais plutôt une forme d’art . Pour nous il s’agit d’accueillir la réalité d’un corps, d’aller à la rencontre du merveilleux, d’accepter ce qui nous échappe : la poésie du vivant, la fragilité, la beauté, le mystère.















